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Les messieurs comme partout appartenaient à deux catégories. Les uns, maigres, parmi lesquels certains tournaient atour des dames, tandis que d’autres se distinguaient à peine des hommes du monde de Pétersbourg ; les mêmes favoris , taillés avec goût, les mêmes visages bien rasés, et la même indifférence auprès des jolies femmes qu’ils faisaient rire cependant en leur parlant français, tout comme à Pétersbourg. Les gros hommes ventrus appartenaient à la seconde catégorie. Ceux-ci dédaignaient ostensiblement les dames et attendaient impatiemment l’heure où le domestique préparerait la table verte pour le whist. C’étaient des visages pleins et ronds ; on voyait ici la marque d’une petite vérole, là une verrue ; de même les cheveux se portaient les uns en toupet, les autres en brosse ou « à la diable m’emporte » comme disent les Français.

(…) En moins de trois ans, le maigre ne possède plus rien qui ne soit hypothéqué, tandis que le ventru, sans se donner de mal, devient vite propriétaire d’une petite maison au bout de la ville, achetée au nom de sa femme, puis encore d’une autre maison à l’autre extrémité du bourg…Bref, petit à petit, le village entier lui appartient. Enfin les ventrus, après avoir servi Dieu et le tsar, jouissant d’une considération générale, quittent le service, déménagent et deviennent propriétaires fonciers ; ce sont alors de beaux seigneurs russes très hospitaliers qui vivent largement. Enfin, pour être fidèles à la vieille tradition russe, les héritiers de ces ventrus deviennent des maigres après avoir gaspillé tout le bien paternel.

Nicolas Gogol