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Mon regard n’embrasse que du pourpre : rideau de scène, fauteuils de velours, moquette de soirée, vision uniforme d’une foule encodée selon la grille des sièges. La raison de notre convergence ici accompagnée de son brouhaha nous saupoudre de cohérence, tous, chacun à sa place. Chacune pose pour mon objectif intérieur, à son tour, méthodique. Poses évoluées, éduquées selon le monde alentour, évaluées selon les regards présents ce soir comme les autres soirs, ternes uniformes de représentation. Mes yeux voient au-delà : les uniformes balisent mon regard, ils jalonnent ma perception sans l’entraver ; la perspective des consciences se déroule au long de leurs fuyantes, convergentes au coeur. Raisonner non. Raisonner en moi, je cherche cet écho à ma conscience, de l’autre côté, en vain. A l’intérieur, son profil se dérobe : courbes de son menton, de sa pommette, de son arcade, elle se détourne pour rester secrète. L’espièglerie de son sourire imprègne le mouvement qui m’abandonne à la féminité de son chignon. Ses cheveux relevés en circonvolutions, un à un dessinent avec habileté son intention : m’attirer au coeur.

Là, au coeur, le chemin s’insinue.

Pascal Aribaud

 

A l’extérieur, mon regard attend la précieuse qui garde mon coeur en lieu sûr. Un battement de cils, au loin, vient happer mon attention, mon regard se concentre, il se transporte, me dépose délicatement pour me dissimuler entre ces courbes noires tangentes à l’infini. Là, j’assimile leur mouvement primal, ses cils battent lentement, comme ralentis par le poids de ma conscience juchée sur eux, ils oscillent librement de l’espièglerie de la fillette à la grâce de la femme. Ce ralenti force ma conscience, s’y insinue avant d’y décréter l’état de siège, hors du temps. Elle est en moi, son frisson fulgurant surexposant chacun des grains de sa peau blanche me signale que le contact est établi. Son coeur accélère pour maintenir l’intime de notre relation en état de  grâce. Mais mon corps a fourni tant d’efforts pour la recevoir ! Tendu vers elle, coeur palpité, peau irisée, yeux écarquillés, mon corps épuisé dans l’intention, ma conscience se dilue peu à peu, je quitte le promontoire magnifique de son regard pour revenir à moi. Le monde a basculé : notre relation a existé, elle sait qui je suis, je l’ai reconnue. Corps et Âmes reprennent leurs Esprits. Nous voici éloignés par la distance que ce monde a établi par la force des choses. Sur la grille des fauteuils, mon voisin empourpré me fait savoir son impatience, renforçant ainsi le brouhaha qu’il appelle à se taire : les lumières pâlissent. Une secousse sèche libère l’ouverture du rideau trop long qui râpe la moquette. Que le spectacle commence !

Le silence nouveau sera mon allié, mon corps se détend, mes yeux se ferment pour activer leur clairvoyance dans l’obscurité : je la cherche à chaque point de la grille, l’émotion qu’elle a laissée en moi s’active jusqu’à emplir tout mon être, elle est là, je la vois, je la suis, elle est moi, métempsychose réciproque. Là, au coeur, le chemin reliant l’Âme au corps se nomme Amour. Ma douceur entière, ma sensualité pleine, mes caresses absolues se tournent vers elle pour l’envelopper. Un lent pas de deux libéré vient de s’ouvrir là où le temps devient multitude, myriades de monades. Chacune est une porte d’entrée sensible à la moindre variation. Notre danse s’enroule infiniment autour de nous, nous ne faisons qu’un, elle et moi, la danse et nous, pour notre éternité.