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Renée Jacobi par Jacques-André Boiffard

De Jacques-André Boiffard, on sait peu de choses. Qu’il est né le 29 juillet 1902 à Epernon, Eure-et-Loire. Que vint-deux ans plus tard, il devient l’assistant de Man Ray, rencontre André Breton, illustre son Nadja, avant d’exhiber le « pape du surréalisme » en cadavre couronné d’épines au frontispice d’un pamphlet. Rallié à Bataille, il collabore jusqu’en 1931 à la revue Documents. Après cette date, on le perd : il semble avoir abandonné toute pratique photographique, sinon celle consistant à passer les corps aux rayons X en tant que médecin radiologue.

Quant à son œuvre, elle est vouée aux objets de répulsion tels les pieds, les ongles, aussi bien que de perversion, accessoires SM en particulier. Elle mine surtout la forme humaine en commençant par les fondations du visage : ses figures portent des masques grotesques ou prennent les traits de crustacés.

Sur un cliché de 1930, j’y arrive, Boiffard montre le corps d’une femme, rigide et nu, comme exposé à la morgue. Le choix du raccourci, ce point de vue qui déforme, rappelle le célèbre Christ mort de Mantegna, bien qu’ici la plongée retourne l’espace construit par le maître italien : la brune changée en messie nous surplombe, non plus gisant mais lévitant. De manière plus mystérieuse encore, cette œuvre a un parfum prémonitoire : la chevelure du modèle, sa réduction à un buste semblent annoncer l’affaire Elizabeth Ann Short, surnommée le Dahlia noir et retrouvée coupée en deux dans un terrain vague de Los Angeles, une quinzaine d’années plus tard. Comme la rencontre fortuite sur une table de dissection d’une machine à coudre et d’un parapluie, on soupçonnera d’ailleurs un autre proche de Man Ray, le chirurgien George Hill Hodel d’être l’auteur du crime.

Boiffard, bien que méconnu, pourrait bien être l’un des prophètes d’une religion devenue universelle qui a substitué le supplice d’une prostituée à la passion du christ, y abandonnant tout espoir de résurrection.

Dominique Ristori

Parce que je pense qu’un texte n’est jamais aussi beau que lorsque nous l’écoutons, nous ferons ici une grande place à la voix afin de nous laisser traverser par ces phrases qui nous protègent autant qu’elles nous exposent.

Pour commencer, voici une proposition que j’ai adressée aux écrivains chers à Edwarda : donnez-moi une phrase que vous aimeriez entendre prononcée par les lèvres d’une femme. Qu’elle soit belle, vraie, folle, crue, artificielle. Qu’elle relève de la lettre de sort ou de la lettre d’amour…

A notre trouble

Sam Guelimi

Après avoir vu et entendu Ingrid Caven lors du premier des deux récitals qu’elle donna à la Cité de la musique il y a six ans, Bertrand Bonello mit tout en œuvre pour filmer le second soir. Le film s’appelle Ingrid Caven, Musique et voix. Avant cette projection inédite à l’hôtel Scribe, Ingrid l’éponyme nous lit un extrait du livre de Jean-Jacques Schuhl : son arrivée dans ce même hôtel quelques années plus tôt comme égérie de Yves Saint-Laurent, il y est question de casseroles, de fleurs, d’escaliers… Applaudissements.
Le film commence. De noir vêtue, Comme des garçons, Ingrid Caven alterne Kurt Weil, Schönberg, des textes de Fassbinder, de Schuhl sur la musique de Peer Raben et tant d’autres. C’est une interprète inouïe, à la sauvagerie sophistiquée, elle ensorcelle, ça va vite, les morceaux sans lien s’enchaînent. De l’avant-garde au cabaret, paroles chantées, hurlées, chuchotées, actrice dadaïste et femme fatale à la fois, présence pure à la chevelure fauve vénitien, Ingrid Caven s’amuse, elle joue, évacue la mascarade en la déstructurant. Elle invente, s’offre tous les écarts. Rock’n roll. Son répertoire le lui permet.
Bertrand Bonello capte avec grâce son sujet, la scène qu’il filme est un lieu indompté, magique et son film nous enchante.

John Jefferson Selve

La nuit s’avançait. J’aperçus le ciel, quelques étoiles et un peu de verdure. Cette première sensation fut un moment délicieux. Je ne me sentais encore que par là. Je naissais dans cet instant à la vie, et il me semblait que je remplissais de ma légère existence tous les objets que j’apercevais. Tout entier au moment présent je ne me souvenais de rien ; je n’avais nulle notion distincte de mon individu, pas la moindre idée de ce qui venait de m’arriver ; je ne savais ni qui j’étais ni où j’étais ; je ne sentais ni mal, ni crainte, ni inquiétude. Je voyais couler mon sang comme j’aurais vu couler un ruisseau, sans songer seulement que ce sang m’appartînt en aucune sorte. Je sentais dans tout mon être un calme ravissant, auquel chaque fois que je me le rappelle, je ne trouve rien de comparable dans toute l’activité des plaisirs connus.

Jean-Jacques Rousseau