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Renard

Renard- qui s’appelle aussi Aloïs, Axel et Lazare – est un esprit sauvage au sang doré, du beau sang de héros. Mais quelque chose agonise au dedans, d’enfermé, je l’entends. Ca enrage pour sortir, j’entends des pattes qui grattent, qui grattent. Des pattes rousses à gants noirs. Je sens la chlorophylle des arbres, mêlée de pollen, augmentée d’acier. Poussière. Cette chose qui remue veut rester à l’intérieur, mais il n’y a plus assez de place. Ca claque et feule, c’est en colère. J’entends cette chose qui s’éreinte, je sens son odeur, je la vois: débris d’or, fracturés, plomb en fusion, éclats, scories, geyser bouché de pierre ponce, cloque de soufre jetant des feux follets, stalagmites, friche, waste land, percé d’obus, troué d’ombrage par-ci, par-là, suffoquant d’ombre et de soleil.

Un texte de Georgina Tacou

Chers lecteurs,
Le numéro 8 d’Edwarda vous aura peut-être surpris. Elle qui jusqu’alors vous saisissait au premier regard par ses visages en couverture et vous séduisait ensuite, page après page, en effeuillant le corps des modèles, soignant les détails depuis les mains jusqu’aux chevilles ; s’oubliait pour finir sur un sein. Mais là, aucune image comme si elle avait choisi de se dérober.
Permettez moi de préciser le jeu auquel elle vous invite : le temps d’un numéro, il s’agit de vous laisser poser un bandeau sur les yeux et d’abandonner aux phrases le soin de l’incarnation. Des femmes à imaginer vous attendent derrière la porte si vous acceptez de tourner le bouton de celle-ci, à tâtons. Des femmes à caresser sur le papier qui est peut-être aussi délicat que la chair et comme elle, parfumé. Qui a dit, ouvrir les yeux, c’est ne pas sentir?

Sam Guelimi

La vérité de l’amour exige bien les violences sans merci de l’étreinte, mais elle n’ apparaît qu’ au hasard, dans la transparence du repos. L’ image qui me vient le plus à l’ esprit est celle d’ un lac, celle d’ un objet qui n’ est jamais isolable comme objet, car ses eaux s’écoulent et leur surface est le reflet du ciel, ses fonds vaseux lui prêtent la douceur invisible qui l’ attache à la profondeur d’ un sol suivant le long glissant de la planète , ses bords rocheux s’ effacent dans la luminosité des airs. Tout entière, la vérité de l’ amour est suspendue dans ces moments de calme où nous en perdons la limite.

Georges Bataille

rothko pink

 Un tableau de Mark Rothko

Mon premier choc a été celui de naître. Le second, celui de découvrir l’existence de la mort. Parlons ici de chocs qui durent, d’arrêts sur image. L’amour n’est peut-être qu’une surprise, une collision périssable. Le troisième survint lorsqu’entrant dans une pièce au MoMa de New York, je me retrouvais face à une immense toile de  Marc Rothko. Vissée au sol, souffle scindé, un coup de pagaie dans l’estomac. J’avais toujours été sourde et j’entendais soudain de la musique. Je n’avais été qu’os et de la chair poussait sur moi. La grande main d’une joie terrible m’a saisie par la nuque et secouée comme un chaton aveugle. Une joie sans raison, une joie furieuse et imbécile. Je ne voyais pas la toile, je l’entendais. Et cette ritournelle : Color that speaks, color that speaks. J’étais demeurée, dans tous les sens du terme, plantée là comme un clou qui n’a plus de raison d’être ailleurs qu’à l’endroit où l’a enfoncé un coup de marteau. La couleur de ce jour-là perdure dans mes veines, comme celle du premier cri, comme celle du dernier. Quelques années plus tard, j’ai lu une phrase dans « L’arrêt de mort » de Blanchot. Le narrateur est au chevet de son amie mourante. Elle divague. Soudain, elle se dresse sur son lit et semble suivre quelque chose des yeux en hauteur dans la pièce, et prononce ces mots étranges :   »Rose par excellence. »
J’ai repensé au tableau de Rothko.

Un texte de Georgina Tacou

tacou

Une photographie de Raphaël Lugassy

Le chien des voisins, perdu sur la plage, en pleine nuit. Eveillés par ses jappements assourdis par le vent, par le cri du maître, à la crête des vagues. L’obscurité était totale, seul le son de la battue solitaire, des bourrasques enroulées, évidées, retressées. J’entendis ensemble le bruit soudain de l’obturateur et une dernière plainte de l’animal, sans doute emporté par une lame. L’image révélée par une très longue pause d’exposition fit apparaître un guet sans issue. La voix du maître aussi, s’était tue.

Un texte de Georgina Tacou

Depuis près de trois ans Edwarda tisse un lien de fidélité avec des écrivains qui partagent avec elle ce désir de réconcilier le corps et l’esprit. Elle a décidé de poursuivre plus avant la collaboration et de lancer une collection de livres, confiant à Mathieu Terence le soin de l’inaugurer. Chair philosophale qui est un recueil d’aphorismes à l’écriture aussi exigeante que sensuelle en est l’aboutissement et le premier, souhaitons-le, d’une longue série de beaux ouvrages tirés à 500 exemplaires numérotés.

Sam Guelimi

Je pense à l’épisode de Violence et Passion où Helmut Berger (drapé dans la fameuse peau de loup que le Fantôme croit avoir reconnue plus tard transformée en manteau), occupé au téléphone chez le professeur, reconnait un paysage peint. A cette expertise, il donne une explication hautement séductrice par sa négligence : un précédent protecteur devait en avoir accroché un lui aussi, du même peintre, près du téléphone. Culture de gigolo que je préférerai toujours à celle des hautes études.

Simon Libérati