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Une photographie de Sam Guelimi

Entre les stations Saint-Maur et Parmentier, la fille s’appelle Elizabeth – il l’apprendra plus tard lorsqu’ils sortiront à l’air libre. Elle allumera une cigarette avec le briquet qu’il lui tendra. Et l’écrasera aussitôt nerveusement : jamais elle ne saura ce qu’elle voudra. Raison pour laquelle, ils vivront dans les semaines suivantes une relation des plus indécidables.

Arrêt Bourse, rien n’ira, moral au plus bas. Il remarquera à peine sa forme au milieu d’autres qui s’entasseront dans la rame. Peut-être la fourrure tachetée lui fera songer à la bestialité des transports en commun ; combien la promiscuité rend les semblables inhumains – certains en profitent pour se frotter. Puis elle disparaîtra sans qu’il s’en aperçoive.

Ils échangeront un premier regard, le second sera plus appuyé, et au troisième, ils se souriront. Ne pouvant se résoudre à ce que les choses en restent là – Opéra, ô maudite correspondance -, elle trouvera un morceau de papier et l’audace d’y coucher au rouge à lèvres son numéro de téléphone. Il l’appellera dans les minutes qui suivront pour l’inviter à dîner le soir même.

Wagram où elle monte et photographiera cette jeune fille habillée comme une Anglaise, à la dérobée. L’épinglera dans la mémoire de son téléphone parmi une multitude d’émerveillements, sous le nom de Shirley.

Un texte de Dominique Ristori

De toutes les tribus de mots qui s’élèvent en rangs serrés autour de moi, dont j’appelle la venue, celles qui me raptent au détour d’une phrase-lasso, qui exhument mes peuples enfouis me sont les plus chères.

Illusion que l’alignement des phrases dans la régularité des découpes des pages, illusion que l’immobilité de l’espace blanc et de ses graphèmes : tout dans le livre est mouvement, danse nue, strip tease de l’âme. Dérivant au fil des noms, je guette le moment où les mots viennent mordre mon corps. Posture d’abandon, j’écarte tout ce qui fait écran. Lire, c’est ouvrir ma bouche, mes sens, être délogée de moi, subir une rafale d’écriture qui me projette dans le grand dehors.

Longtemps, j’ai différé le rendez-vous avec La Recherche, préférant aux écritures florales, en arborescence faussement mondaine les griffures de feu, les révolutions formelles, la radicalité des mots qui déchirent riffs de Fender, la trinité infernale des défonces érotiques, des cocktails de stupéfiants et des envols dans la nuit rimbaldienne. Comme un long détour avant de me heurter à ce qui m’attendait, découpé en creux : les cristallisations de sensations et de pensées d’À la recherche du temps perdu.

Véronique Bergen

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Années 1874-75. Nous sommes au faîtes du bonheur de Paulina. Est-ce le bonheur? Tout est-il tranquille? C’est seulement quand « après », la tête sur la poitrine de son ami, elle entendait le battement de son coeur et en ressentait la chaleur avec le bruit sourd, charnel et puissant, que Paulina pouvait connaître enfin le sentiment de l’unité et la douceur.

Pierre Jean Jouve

Qu’est-ce qu’adapter un roman au cinéma ? Lui faire un enfant dans le dos aurait répondu Douglas Sirk. Les femmes ne s’y prennent pas autrement lorsqu’elles veulent ferrer un as qui a la tête dans les étoiles. Ainsi Laverne avec Roger Schumann, ignorant qu’un coup de dé déciderait de son sort. Fin du flashback. Elle ferme ses grands yeux las, allongée sur le divan du journaliste Burke Devlin qui en pince pour les épouses délaissées et le whiskey.

L’action se déroule non loin de la Nouvelle-Orléans, au moment du carnaval : ambiance de fête foraine avec glaces qui rendent difformes les enfants, barbes-à-papas, manèges à hurlements. Mais l’attraction principale ce sont les courses d’avion. Roger porte le masque d’un fou alors qu’il tient la corde et vire à chaque pylône, au risque de briser les ailes des concurrents. Il s’abîmera au fond du lac - ce qu’il en coûte de jouer les volatiles, même pour une dernière fois.

Les héros ou plutôt les créatures qui peuplent le cauchemar américain, ne sont plus tout à fait des humains. Des corps-machines alimentés au kérosène. De la chair cabossée par le spectacle car outre atlantique, cela finit toujours par un show. Le public les adule autant qu’il les méprise, et c’est à leur belle mort qu’il vient assister en nombre. Quant à notre journaliste, il trouve là matière à épopée.

Parfois les existences retombent sagement : la blonde cessera ses acrobaties aériennes, retournera à la terre d’où elle vient, l’Iowa, avec son fils sous le bras. Et le roman que lui tend Devlin sur le tarmac ? Un prétexte pour filmer leurs retrouvailles et des champs de blé à perte de vue, aurait répondu Douglas Sirk, pourvu qu’un fléau vienne tout dévaster.

Dominique Ristori

Chers lecteurs,

Mon envie, seule boussole d’Edwarda, me mène à cristalliser bientôt dans une collection de livres choisis mon désir de liberté partagée et qui se manifestait jusque là sous l’enveloppe de la revue. Envol pris, les ailes que tous les contributeurs ont donné à  Edwarda vont la mener d’ici quelques mois à atteindre un nouveau rivage. Les livres qui marqueront ce nouveau domaine d’évolution, seront précieux parce que d’abord rares. Frappés du coin de l’inactuel le plus urgent, puisque conjuguant en une même expérience intérieure le sensuel et le spirituel.

La revue va prendre son temps. Elle reparaîtra alors aussi fraîche qu’une surprise.

Enfin, par le biais du blog, j’aimerais continuer de vous offrir avec l’aide précieuse de mes contributeurs ce quelque chose qui nous modifie et nous amène à la vie : l’émotion.

Sam Guelimi